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Publié par DSOL-SUPAP-FSU

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C’est le coût du recours aux agences d’intérim en 2022 pour le seul Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris (CASVP). On n’a pas réussi à avoir le montant pour la DSOL et l’ASE qui, avec ses foyers de l’enfance, doit être de loin le plus gros consommateur d’intérim. Selon les estimations de Dr SUPAP le budget intérim de l’ensemble de la Direction des SOLildarités (DSOL - Paris) permettrait de mettre un hôtel rue de la Paix.

Le recours à l’intérim dans le secteur social n’est pas nouveau. A la DSOL, il est utilisé quotidiennement dans les établissements qui accueillent du public en continu (EHPAD, CHRS, « foyers » de l’ASE). Ce qui est relativement nouveau c’est le volume des demandes et la dépendance totale des établissements aux agences d’intérim. Et on parle pas d’une petite dépendance, on parle d’établissements en mode consommateurs de crack. 

Un problème de personnel ? Conditions de travail de merde, personnels en arrêt pour burn out, impossibilité de recruter parce que plus personne n’accepte de travailler dans ces conditions ? Pas de soucis, les agences d’intérim sont là pour te facturer un intérimaire pour la modique somme d’un bras, une jambe, un rein et un poumon (l’intérimaire ne percevra que le coude hein, le reste c’est pour les actionnaires). Synergie, fournisseur officiel des intérimaires de la DSOL, a un chiffre d'affaires 2022 de 2,9 milliards d'euros (et des actionnaires bien contents que ce soit la merde pour gérer Djayson au foyer de l'enfance de Saint Brioul sur Marne).

Tes équipes tombent comme des dominos ? Domino RH est là pour ça ! D’ailleurs chez Domino ils sont tellement forts et bien implantés, ils ont tellement compris que le social est la nouvelle poule aux œufs d’or, qu’ils ont déjà géré entièrement des foyers de l’enfance. Ouaip. Projet éducatif : maintien du calme / qu’il se passe rien / prendre la thune / faire grimper le Chiffre d’Affaire.

Parce que les agences d’intérim  sont des entreprises privées à la recherche de profits, elles éclaboussent les politiques sociales d’intérêts privés et participent pleinement à la marchandisation du secteur. L’effondrement d’un système ça rapporte toujours ! Et en consacrant une part toujours plus importante de leurs budgets contraints à engraisser les entreprises d’intérim, les institutions se privent de moyens financiers qu’il serait urgent de consacrer aux conditions de travail (celles-là même qui, améliorées, réduiraient drastiquement les besoins d’intérim). C’est ce qu’on appelle se mordre la queue.

 

« Je suis pas venue ici pour souffrir ok ? » Monique, assistante sociale à la DSOL

«  Si vous êtes pas contente vous avez qu’à partir » Patrick, membre de la direction à la DSOL (et actionnaire de  Synergie )

 

Côté intérimaires on n’est pas beaucoup mieux !

Si pour les travailleurs sociaux, la demande permet souvent de ne pas craindre de se retrouver sans mission et salaire, il n’en va pas toujours de même pour les agents moins qualifiés qui subissent l'intérim et la précarité. Et difficile pour eux d’accéder à la stabilité en étant recrutés par une structure cliente de l’agence d’intérim : les contrats prévoient des pénalités de plusieurs milliers d’euros dans le cas où une structure recruterait un intérimaire. Sans compter qu’en fonction des structures et missions, les intérimaires, prestataires, peuvent être traités comme de la crotte ou mis dans des situations de travail impossibles.

Mais l’intérim peut aussi être un choix (avec toutes les nuances cachées derrière le mot choix, parce que par exemple, t’as choisi ton mec mais en vrai si Brad Pitt avait été accessible t’aurai pas « choisi » Robert). Il permet à un nombre important de professionnels non diplômés (principalement des faisant fonction d’éducateurs spécialisés) d’exercer leurs missions. Il permet à de jeunes professionnels de tester différents secteurs et missions. Il permet d’avoir un meilleur salaire. Il permet parfois d’accéder à plus d’autonomie et de liberté.

L’intérim permet aussi de ne pas s’impliquer, de prendre de la distance vis-à-vis d’institutions et d’équipes bien souvent en difficulté voire dysfonctionnantes. Le poids de la chaine hiérarchique, des procédures, des collègues... pèse moins quand t’es juste de passage. Et pour les nombreux travailleurs sociaux qui ont fait le tour des institutions, l’intérim peut être le moyen de limiter son implication et de se mettre à distance d’un système qui en a épuisé plus d’un !  C’est pas nouveau ni limité à l’intérim que de refuser de s’engager après des expériences douloureuses. Et dans le social c’est pas les coups foireux qui manquent : c’est eux qui  poussent à préférer les coups d’un soir pour satisfaire des besoins primaires plutôt que de s’engager dans des histoires compliquées qui finissent toujours mal !

 

Y’a quand même deux problèmes avec cette (protectrice) distance.

1/ Est-on toujours à la bonne distance, en tant que TS, quand on limite son implication dans la relation aux personnes accompagnées  au court terme ? Comment est-ce qu’on sécurise des parcours émaillés de ruptures (auprès d’enfants bien souvent) ; comment on construit une relation de confiance, une relation sécurisante et de la stabilité quand le projet n’est pas de rester ? Quand on a une mission d’une semaine dans un foyer, quel peut être l’objectif si ce n’est le maintien de l’ordre ? Comment participe-t-on à défendre le travail social, la place centrale de la relation (et pas des procédures) sans s’y inscrire dans la continuité ?

2/ Si les conditions de travail dégradées (difficulté du travail, new management, rigidités réglementaires et procédurales, perte de sens…) contribuent à rendre l’intérim attractif, qui reste-t-il d’ancré dans les services pour faire bouger les choses de l’intérieur ? Limiter son implication au travail est sans aucun doute la meilleure façon d’éviter l’épuisement professionnel et de préserver sa santé. Mais le manque d’implication, le désenchantement et le renoncement d’un nombre toujours plus grand de professionnels est aussi ce qui, d’années en années, contribue à l’enlisement du travail social, entérinant perte de sens, gestion alawanagain etc. Et plus de TS se mettent en intérim, moins il en reste à recruter sur des postes pérennes... Ainsi, si l'intérim peut être un bon choix professionnel à titre individuel, on peut questionner son impact sur les intérêts collectifs des professionnels du secteur.  C’est donc, encore, ce qu’on appelle se mordre la queue.

Y’a pas de miracle, pour défendre et protéger des valeurs, l’intérêt des personnes accompagnées, les conditions de travail, l’éthique, le sens dans les établissements… : il faut s’y engager et s’y inscrire dans un collectif (« tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin »).

Les intérimaires, en s’externalisant vis-à-vis des employeurs, des structures et de la gouvernance du social, peuvent ainsi participer malgré eux à l’érosion du système et ce indépendamment de leur investissement individuel ou de la qualité de leurs pratiques. Soyons clairs: le problème n’est pas le professionnel, l’intérimaire, mais bien l’intérim et son poids dans le secteur social. Parce que le système d’intérim participe à inscrire les pratiques dans l’urgence ou dans un temps limité au détriment du fond, participe à la sous-traitance et à la marchandisation du secteur social ou encore à la division locale des professionnels qui nuit à leur mobilisation et à l’aboutissement de leurs revendications légitimes.

 

Irma SUPAP pourra vous dire qu’elle avait vu le truc venir. En refusant, au nom d’économies, d’agir sur les conditions de travail (du sens aux salaires en passant par le management), les employeurs du secteur social ont créé une pénurie de professionnels que des agences d’intérim leur facturent cher (et leur factureront toujours plus cher dans les années à venir). Et quand on écoute encore aujourd’hui le discours des politiques et directions, c’est à se demander s’ils ne sont pas actionnaires de Synergie et n'ont pas intérêt à ne pas résoudre le problème !

La bonne nouvelle :

Il est encore temps pour les employeurs de préserver leurs budgets des années à venir en déployant des moyens sur le terrain pour recruter et fidéliser les professionnels.

Il est encore temps pour les professionnels, d’échanger entre eux et de créer des collectifs de travail (du niveau local au niveau national) pour défendre ensemble leurs professions (tout le monde pourra pas se reconvertir en coach ou fleuriste !).

 

Alors... chiche !

(Sinon tu peux aussi sauter sur la poule aux œufs d'or et ouvrir ton agence d'intérim social ou trouver plein d'autres moyens d'augmenter tes revenus en surfant sur la crise) - à suivre - 

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