Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son !
Chers collègues,
Alors que s’achèvent les fêtes de Pâques et pour faire plaisir à la direction du CASVP, qui apprécie les méthodes de communication académiques et hiérar chic’, nous avons décidé, dans ce billet d’humeur, de vous inviter à défricher avec nous le champ lexical de la cloche.
Rappelez vous… A la rentrée des classes 2017, la direction du CASVP a sonné le glas : elle a muté une de nos collègues assistante sociale, syndiquée et engagée, en invoquant des raisons de service. Les raisons de service, c’était du pipeau, mais nous explorons aujourd’hui le champ lexical de la cloche, le pipeau de la direction du CASVP, c’est donc hors sujet.
Non contente de son coup de glas mutationnel, notre direction a envoyé en sus son carilloneur de la DRH sonner les cloches des agents des Services Sociaux Parisiens.
J’ai assisté au sonnage de mâtines dans le Beffroi du SSP 15 :
Notre carilloneur, issu de la monocloche-school of CASVP, a une pratique toute Weberienne de l’instrument : il martele les mêmes notes de plus en plus vite et de plus en plus fort : « vous avez des droits mais surtout des devoirs », « vous êtes fonctionnaires avant d’être travailleurs sociaux », « on titularise les agents obéissants, pas les travailleurs sociaux compétents ». La presse spécialisée vibrait à l’unisson « Une interprétation habitée, par un artiste qui vit sa musique » CASVP Magazine « Une mélodie qui, à l’instar des derviches tourneurs, met en transe son interprète » newsletter du territoire 7 15 16. Pourtant ça m’a laissée de marbre, de l’acier dont on fait les cloches plutôt, puisque nous défrichons ensemble son champ lexical.
Le vendredi 30 mars, à l’occasion d’une soirée syndicale que nous avions intitulée « qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son » nous avons reçu un autre joueur de cloches, en la personne de Christophe Daadouch, juriste et formateur en école de travail social, diplômé de la « poliphonic school of cloches » de Paris 8 la Sorbonne.
C’était plus expérimental comme musique : sur le thème, majeur, des droits et des devoirs des travailleurs sociaux et des fonctionnaires, il y avait une ligne mélodique, mais aussi des remarques des questions, du débat, fallait s’accorder en cours d’interprétation. Tout ça formait un ensemble relativement harmonieux quand même mais sûrement plus complexe à interpréter.
A la question: A qui dois tu obéir en tant que travailleur social et fonctionnaire ?
Voilà les tintements de réponses qui me sont parvenus aux oreilles : tu dois obéir à la loi, à ton chef, à ton éthique, à ta déontologie, à ton intime conviction, à ton bon sens, à ton secret pro, à ton devoir de réserve et tout ça dans l’intérêt des gens que tu accompagnes... tout en sachant bien sûr qu’il existe des ordres qui sont légaux mais qui ne sont pas moraux et le contraire, et que tu as le devoir légal de dénoncer les ordres manifestement illégaux.
Comment faire sonner tout ça ensemble ? Comment accorder ces carillons d’injonctions? Faut quelques années de conservatoire c’est sûr, ainsi que des connaissances, du débat, de la réflexion, du conseil technique, des convictions, de l’empathie et de l’engagement.
J’ai glané quelques conseils pour l’interprétation de ma partition de travailleur social :
- Se raconter une fois par semaine à la pause clope ou café l’histoire de la grenouille *
- Connaître la loi : la lire, tout simplement, avant d’appliquer (ou de questionner) les décrets, circulaires, notes de service et autres procédures qui s’en réclament.
- Etablir une hiérarchie des normes c’est à dire de mes obligations. (« une loi spéciale est supérieure à une loi générale », ex : le secret pro prévaut sur l’article 40 qui stipule qu’ « un fonctionnaire signale tout crime ou délit dont il aurait connaissance »)
- Dès qu’une consigne m’interroge, demander qu’on me la donne par écrit.
- Mesurer les conséquences de mon éventuelle « désobéissance » quand je trouve qu’il y a quelque chose qui cloche.
- Accepter que le bon sens, l’initiative, la prise de risque fassent partie de mes responsabilités professionnelles. Ne pas demander des procédures qui me sécuriseront peut être mais pourront aussi desservir les gens et nuire à mon autonomie.
- Lire ou relire la Boétie « discours de la servitude volontaire » le jour où je décide d’obéir à une consigne non éthique pour avoir la paix et une bonne évaluation annuelle.
- Investir les espaces consacrés à l’éthique dans nos institutions, demander à ce qu’ils sortent de leurs placards à balais pour qu’ils viennent vraiment éclairer nos pratiques
- Lire ou relire Max Weber et sa conception du service de l’État («L’honneur du fonctionnaire consiste dans son habileté à exécuter consciencieusement un ordre sous la responsabilité de l’autorité supérieure même si elle s’obstine à suivre une fausse voie», écrivait Max Weber )
- Lire ou relire Laurent Joly « L’Antisémitisme de bureau » (pas pour faire des parallèles foireux entre des contextes qui n’ont rien à voir mais pour se méfier de la « routine administrative », rester vigilant à ce que la musique de l'institution ne devienne pas un ver d'oreille ** et garder comme priorité l’intérêt du public).
- Se souvenir que la jurisprudence a reconnu pour la première fois en 1944 le droit à la désobéissance, et que cet arrêté a fait des petits depuis.
- Partager ses questionnements avec ses collègues et investir les espaces de réflexion et d’expression comme les syndicats avec leurs portes voix.
En conclusion chers collègues, si vous recherchez une pratique artistique de l’accompagnement social, où vos valeurs et vos actes professionnels seraient en harmonie, nous vous invitons, à venir faire tinter vos convictions, résonner vos interrogations et vibrer vos éclats de rire en rejoignant l’ensemble polyclochique du SUPAP.
La fée clochette et son orchestre
* l’histoire de la grenouille : figurez vous qu’une grenouille qui gambade et jouit de la vie en toute liberté sur son nénuphar, si elle est plongés dans une marmite d’eau bouillante, elle prend conscience immédiatement du danger et d’un bond énergique et majestueux, elle sort de sa marmite. Cette même batracienne plongée dans une eau vaguement tiède portée à ébullition progressivement commencera par se prélasser dans sa marmite avant de comprendre ce qui lui arrive… et là il sera trop tard, elle n’aura plus l’énergie du bond majestueux, et finira dégustée à l’apéro dans une sauce à l’ail, indigeste et malodorante.
** Un ver d’oreille c’est un air obsédant, dont le souvenir est mentalement persistant, répétitif et difficile à réprimer. Ex : « Et on fait tourner les serviettes »