Fichées S(yndiquéEs)
Hier nous allions travailler en souriant parce que nous adorons notre travail.
Hier, nous venions militer avec plaisir, heureux d’être en démocratie, de pouvoir défendre les convictions sincères qui nous animent, de porter la parole des travailleurs sociaux qui, à la DASES, nous ont élus.
Militer, pour nous, c’était l’occasion de défendre les valeurs du travail social à une époque où les restrictions budgétaires et la procéduralisation frappent de plein fouet des services publics essentiels pour les plus fragiles de nos concitoyens. Militer pour nous, c’était aussi nous extraire des injonctions du quotidien pour réfléchir à nos pratiques et leur impact sur ceux que nous accompagnons, découvrir de nouveaux sujets, rencontrer de nouvelles personnes, apprendre, nous enrichir d’autres points de vue, modes de pensées.
Et puis on s’est réveillé dans un monde cauchemardesque où on va bosser la boule au ventre, et où on n’a plus goût à rien. Un monde où on ne dort pas, un monde où on passe ses week-end à aller récupérer à droite/à gauche des témoignages sur CERFA.
On s’est réveillés face à des cyniques qui, d’un sourire, vous rappellent que vous n’êtes rien, que votre parole ne vaut rien, que vous ne valez rien et que votre carrière, ils peuvent la briser.
On s’est réveillés dans un monde où des représentants de l’administration vous menacent en audience, en vous expliquant faire un exemple avec notre camarade, et que si le message ne passe pas ils n’hésiteront pas à en faire d’autres (vous ?).
Ca nous a paru tellement gros qu’on n’a pas voulu y croire : on est en France, dans une mairie socialiste, il y a des lois... On ne peut pas convoquer une représentante syndicale à son retour de vacances et lui annoncer en souriant qu’au vu de ses excellents états de service elle est mutée ailleurs et que, bonne nouvelle, elle va y gagner en temps de transport ! On ne peut pas menacer aussi ouvertement des agents d’être sanctionnés de manière détournée s’ils continuent à militer ! On ne peut pas traiter comme ça des agents dont le dossier est vierge, qui n’ont été prévenus de rien, qui n’ont que des évaluations élogieuses... On ne peut pas priver les gens de toute possibilité de se défendre... Tant de violence, tant de haine, ça n’existe pas !
Et puis en fait, si. Quand on n’a rien à vous reprocher, pas de quoi vous sanctionner, on peut sortir d’un chapeau tout un tas d’arguments pour vous salir, vous humilier, pour faire de vous le responsable de tous les maux d’un service de 80 personnes, pour s’assurer que plus personne ne vous écoute. Parce que face à une administration soudée, puissante et à ses dires, on n’est rien.
La discrimination syndicale, on savait qu’elle existait. Mais c’est un peu comme le racisme, on vit avec, on la banalise, on la minimise, on l’excuse... Mais ces derniers mois nous l’avons découvert sous une nouvelle forme au CASVP, avec un mépris qui nous était inconnu au sein des administrations de la Ville. Et nous ne pouvons plus l’excuser quand, pour reprendre les termes du récent rapport du Conseil Economique Social et Environnemental, la discrimination syndicale volontaire « relèvent de comportements intentionnels (...) sophistiqués de dirigeant qui cherchent à nous affaiblir, nous disqualifier nous évincer, nous faire renoncer". La discrimination syndicale nous la connaissions, mais ce que nous expérimentons aujourd’hui c’est une répression syndicale, qui, l’administration ne le cache pas, a valeur d’avertissement pour tous les agents tentés de se rapprocher d’un syndicat.
Dans tous les services sociaux parisiens la communication officielle est passée : notre camarade est un gourou, notre section syndicale le diable, et les arrondissements où sont implantés ceux de nos syndiqués qui sont repérés dysfonctionneraient... Il n’y a pas d’autre vérité pour qui veut être bien vu par l’administration : c’est la meilleure des communications.
Qui recrutera nos syndiqués demain ? Quelle perspective de carrière pour eux ? Quel tract, quelle grève avons-nous commis pour les mettre dans cette situation ?
On essaie de dormir, de travailler, de vivre comme si de rien n’était mais on n’y arrive pas : il y a tout un pan de nos certitudes qui s’est effondré et on nous a mis, sciemment, en situation de grande insécurité et de souffrance.
Les cadres qui depuis des années nous font de bonnes notations et avec qui nous entretenons de bons rapports rédigeront ils du jour au lendemain un mémo nous accusant de tous les maux pour faciliter notre éviction ? Nos collègues se désolidariseront ils de nous et finiront ils par nous pointer du doigt pour plaire ou éviter les problèmes ? Quelle chance avons-nous, pot de terre face au pot de fer ? Qui nous écoutera ?
Aujourd’hui, nous sommes clairement fichés S – syndiqués. Nous voilà à terre, sidérés, déprimés, dégoutés et apeurés. Nous n’allons pas leur faire l’économie de cette satisfaction : leur but est atteint, le préjudice est là.
Mesdames et Messieurs de l’administration, vous voilà en possession de la recette pour démanteler une section syndicale, briser ses membres, détruire moralement ses militants et leur passer l’envie de contester ou représenter quoi que ce soit.
Violent, inique, illégal, mais efficace.
Quant à vous, chers représentants des personnels, rappelez bien à vos syndiqués qu’ils n’ont pas, en tant qu’agents du CASVP, les mêmes droits, la même liberté de parole, que les agents qui ne sont pas syndiqués. Rappelez-leur bien quand ils arrivent jeunes, motivés, pleins de bonnes volontés et d’envie de défendre les valeurs du service public, que défendre des causes justes expose à des sanctions violentes, injustes.
Nous tenons à remercier sincèrement ceux d’entre vous, collègues, travailleurs sociaux, militants et/ou syndiqués, qui ont pris de leur temps pour soutenir notre camarade, et dont les messages, la présence est d'un grand réconfort face à la violence que notre section syndicale subit. Pour ceux d’entre vous qui la connaissent, nous vous demandons de ne pas oublier qui elle est avant de croire tout ce qui pourra être dit sur elle. Pour les autres, il est inutile de vous conseiller de recueillir la parole des agents du service concerné. Et à tous, je vous demande de continuer à la soutenir dans les mois qui viennent, car le combat qu’elle va mener dépasse largement ses forces mais elle le mènera jusqu’au bout justement pour cette raison : ce combat n’est pas le sien, c’est le nôtre et il ne fait que commencer.
(fichée) S