La Cellule de Prévention de la Radicalisation et d'Accompagnement des Familles (CEPRAF) : Assistantes de Police Sociale ?
En réponse aux évènements qui ont touché la France, le gouvernement a mis en place des mesures de prévention et d’action pour lutter contre le terrorisme, une d’entre elle concerne plus particulièrement les travailleurs sociaux : La CEPRAF (Cellule de Prévention de la Radicalisation et d’Accompagnement des Familles). Cette cellule, qui réunit différents acteurs du territoire (représentants de la préfecture, de la PJJ, de la CAF, du parquet, de la Ville de Paris et de ses services sociaux…) a pour objectif de traiter (nominativement) de situations individuelles suspectées de radicalisation.
Le 20 septembre 2016, la Direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Santé (DASES) rédige une note « d’actualisation du plan d’action contre la radicalisation violente » renforçant le dispositif de lutte contre la radicalisation. Dispositif qui s’organise autour de remontées d’informations par divers acteurs du territoire (école, police, maire, …) réunis pour évoquer de manière nominative des situations individuelles. Un représentant de la DASES, un Coordinateur Social de Territoire (CST), est présent pour informer les membres de la commission sur le suivi de la famille ou non par les services sociaux et les suites données par le service (la famille a adhérer à un accompagnement social ou ne s’est pas présentée aux rendez-vous proposés).
Déjà en 2015, la mise en place d’une autre cellule d’échange d’informations nominatives ( la Cellule d’Echanges NOminatifs Mineurs En Difficultés - CENOMED) nous avait alertés : le SUPAP FSU avait déjà interpelé les responsables de la DASES à ce sujet.
Aujourd’hui, cette nouvelle note vise à durcir le dispositif au mépris total des valeurs du travail social.
Des questions subsistent et inquiètent :
L’information faite aux familles en amont et en aval de la réunion n’est plus requise. Leur situation est donc évoquée, de manière nominative, en commission sans qu’elles en soient informées.
Le rôle du CST de transmettre des éléments à caractère secret (suivi de la famille par un service social, restitution à l’issue de l’évaluation de l’implication de la famille) est contraire aux principes éthiques du travail social : discrétion, secret professionnel, consentement de la famille. Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’intérêt des informations données par le CST : les acteurs de la lutte contre le terrorisme peuvent ils se satisfaire du simple fait de savoir une famille suivie par les services sociaux ? A l’inverse, quelles conséquences pour une famille qui aurait refusé de se présenter aux rendez-vous proposés par le service social ?
L’amalgame entre service de police et service social est un danger pour toutes nos interventions basées sur la confiance et l’indépendance de nos services ! Les professionnels pourraient être en difficultés pour intervenir auprès des familles dans le cadre d’une intervention contrainte, sur la base d’informations provenant de la justice/police. De plus, le risque de confusion, induit par la composition même de la commission, entre travailleurs sociaux et agents du pouvoir judiciaire risque d’entraver la relation de confiance et, ainsi, l’accompagnement social des familles. Comment les travailleurs sociaux, engagés sur certains quartiers difficiles auprès des familles, pourront-ils conserver leur confiance tout en étant identifiés comme partenaires des services de police ?
Un des objectifs de la CEPRAF est de « mettre en place un accompagnement spécifique si elles (les familles) en font la demande… »: or, en voulant servir la prévention de la radicalisation, les services sociaux risquent de faire fuir. Comment mettre en place un accompagnement spécifique, dans le cadre d’un secret levé ?
La responsabilité du travailleur social qui transmet des informations à caractère secret, pour répondre à un dispositif issu d’une circulaire et non d’une loi (comme c’est le cas de la CEPRAF). Quelle garantie du fondement légal de cette cellule ? La transmission d’information relève de la responsabilité individuelle de celui qui la transmet.
Le respect des droits des usagers : droit d’être informé, le droit de faire recours, le droit de consulter les documents administratifs les concernant : Il semble que dans le cadre de la CEPRAF, à défaut d’information de la famille et d’écrit, les droits des usagers soient ignorés.
Le cadre d’une IP n’est pas respecté : L’évaluation d’une situation de danger potentiel d’un enfant mineur s’effectue dans un délai de 4 mois, permettant une évaluation éclairée sur le cadre de vie de l’enfant concerné, en concertation avec les parents, avec des échanges réguliers et constructifs. Or, pour la CEPRAF une évaluation en 15 jours peut être demandée en cas de risque de départ d’un enfant dans un pays en guerre. Cette procédure « d’urgence » n’appartient plus au cadre de l’IP mais relève de la protection judiciaire. La justice, les services de prévention spécialisée ne sont-ils donc pas plus légitimes ? La situation pourrait conduire à une judiciarisation du travail social en polyvalence. En effet, la polyvalence n’a pas et ne veut pas, se substituer aux juges des enfants ou à la PJJ.
Une commande politique ? Les personnes présentes lors des commissions CEPRAF n’ont pas les mêmes intérêts, les mêmes valeurs et les mêmes missions. Aussi, la finalité de cette commission interroge le sens même du signalement et ses finalités.
Nous sommes sceptiques quant au soutien réel que ce dispositif prétend apporter aux familles dans le cadre de la prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Les travailleurs sociaux ne sont pas opposés à intervenir dans la lutte contre la radicalisation dans le cadre d’une IP concernant un enfant en danger, c’est une mission de protection de l’enfance qui répond à une intervention de travail bien spécifique, mais qui ne peut s’effectuer au mépris de l’éthique, du droits des usagers et au risque d’amalgames fatals pour la profession.
Les travailleurs sociaux doivent être associés à l'élaboration des dispositifs de prévention de la radicalisation et de la délinquance qui les concernent.
Pour le SUPAP FSU, dans le contexte que nous connaissons et à la veille des élections présidentielles, il est essentiel de veiller à ce que les dispositifs à finalités sécuritaires, s’inscrivent dans un cadre réfléchi et respectueux des personnes et de leurs droits sans stigmatiser ni marginaliser les usagers des services publics.
Les professionnels sont autorisés à partager des informations à caractère secret dans les conditions posées par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui affirme 5 grands principes pour le partage d’informations à caractère secret (art. 226-2-2 du CASF):
◙ le partage d’informations à caractère secret est une possibilité, pas une obligation ;
◙ il doit se faire dans un objectif unique : celui d’évaluer la situation et de déterminer les actions de protection à mettre en œuvre ;
◙ il est strictement limité à ce qui est nécessaire ;
◙ entre personnes soumises au secret professionnel, qui mettent en oeuvre ou apportent leurs concours à la protection de l’enfance ;
◙ en informant préalablement les personnes concernées (sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant).
Si l’une de ces conditions n’est pas respectée, c’est une violation du secret professionnel.
2 Article L.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles
« Par exception à l'article 226 13 du code pénal les personnes soumises l article 226-pénal, au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance (…) ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier.
Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'interet de l’enfant
