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115 étapes simples pour ... joindre le 115
Joindre le 115 et s’occuper pendant les 115 et quelques minutes d’attente nécessaires, c’est facile.
La procédure vous est ici gracieusement détaillée en 115 étapes simples, accessibles aux travailleurs sociaux débutants comme aux plus expérimentés.
C’est comme un Topito, mais s’agissant du 115, on parlera plutôt de Flopito.
1. Rassurer la personne en rupture d’hébergement en lui expliquant que, faute de solution, vous allez faire avec elle le 115, qui n’aura pas de solution.
2. S’assurer que la personne, et vous-même, êtes libres les 2/3 prochaines heures.
3. Composer le 115.
4. Recommencer en faisant le 0.
5. « Suite à un grand nombre d’appels… ».
6. Raccrocher. Se battre avec le fil du téléphone.
7. Faire Bis.
8. « Suite à un grand nombre d’appels… ».
9. Raccrocher. Se battre avec le fil du téléphone.
10. Faire Bis.
11. « Suite à un grand nombre d’appels… ».
12. Raccrocher.
13. Meubler la conversation en répétant l’opération « Raccrochage / Fil / Bis ».
14. Feindre de n’être pas du tout agacé.
15. Rester souriant.
16. Réfréner un cri de joie lorsqu’arrive enfin la musique qui donne le droit d’attendre.
17. Se retenir de chanter la musique entêtante et de répondre "lol" ou "mon cul!" à la voix mélodieuse qui vous annonce que "your wait time is estimated to five minutes".
18. Garder pour vous vos imitations foireuses des messages d’attente multilangue (ichti mari echkoubidou).
19. Mettre le haut parleur afin que la personne en rupture d’hébergement profite de la musique (ce soir elle dormira dehors ET aura une musique à la con dans la tête, la loi des séries...)
20. Aller aux toilettes TOUT DE SUITE. Après vous auriez trop peur de rater le tant attendu décrochage.
21. Expliquer à la personne que vous vous absentez quelques secondes, qu’au cas, totalement improbable où quelqu’un décrocherait elle devra répondre en vous attendant.
22. Rester calme quand la personne vous demande l’air paniqué « mais je dois dire quoi ??? ».
23. Expliquer gentiment à la personne qu’au cas où quelqu’un décrocherait le téléphone, elle devra dire « Allo ».
24. Faire le tour du service en allant aux toilettes (tous les chemins mènent à Rome).
25. S’arrêter dans le bureau de Déborah raconter que vous êtes en train de faire le 115 avec Mme V.
26. Prendre un carré de chocolat dans le bureau de Marie.
27. Aller aux toilettes.
28. Décompresser avec Claire et Ingrid en improvisant un bœuf à thème « musique du 115 ».
29. Retourner en entretien en refoulant culpabilité, manque d’entrain et haine du système.
30. Reprendre sa place sur le super-siège-à-roulettes en affichant un faux *sourire assuré-rassurant*.
31. Ré-éexpliquer à la personne que ça va être looong et certainement servir à rien, mais que tout va bien c’est normal *sourire assuré-rassurant *.
32. Relire les notes d’entretiens à la recherche d’une information manquante.
33. Obtenir l’information manquante en interrogeant la personne : « Votre chien est mort en quelle année ? »
34. Reprendre le parcours de la personne depuis son année de naissance.
35. Évoquer ses souvenirs de maternelle.
36. De primaire.
37. De collège.
38. De lycée.
39. Ses études supérieures.
40. Ses premiers jobs.
41. Chaque année jusqu’au jour présent.
42. Reprendre les relations de la personne depuis sa naissance.
43. Avec son père.
44. Sa mère.
45. Ses frères et ses sœurs.
46. Whoooo hooo ce serait le bonheu-heurrr.
47. Ses grands parents paternels
48. Ses grands parents maternels.
49. Ses instituteurs.
50. Ses professeurs.
51. Ses amis.
52. Ses compagnons / compagnes.
53. Ses collègues.
54. Ses enfants.
55. Ses précédentes assistantes sociales (forcément moins efficaces).
56. Passer au parcours migratoire.
57. Évoquer tous les pays/villes/rues qu’a connus la personne.
58. Faire des généralités sur les pays/villes/rues citées par la personne (c’est joli / je connais / je connais pas / j’aimerai bien y aller).
59. Puiser dans tout ce que vous savez désormais de la personne pour trouver des choses positives à lui dire, maintenant que c’est LA MERDE (ex: "Donc vos enfants sont placés à la Baule... C'est bien y'a la mer ...").
60. Puiser dans tout ce que vous savez désormais de la personne pour trouver un sujet de conversation qui vous permettra de la valoriser tout en apprenant quelque chose (ex : « ça veut dire quoi ‘‘èichti mari echkoubidou ? ’’ »).
61. Retenir son souffle quand la musique d’attente s’arrête brusquement.
62. Se battre avec le fil pour reprendre le combiné en main.
63. Épeler, comme si sa vie en dépendait, « allô » « allô » « allô » dans le combiné.
64. Cacher sa frustration quand la musique d’attente reprend.
65. Faire vous-même une petite blague sur le ridicule de cette « fausse joie » pour tenter de garder la face.
66. Reposer le combiné.
67. Reprendre le sourire *assuré-rassurant*.
68. Passer au sujet de conversation suivant (éviter la pluie et le beau temps, la personne ayant de fortes chances de dormir dehors).
69. Allumer l’ordinateur.
70. Expliquer à la personne que vous allez « profiter de l’attente » pour faire quelques démarches pour elle.
71. Explorer CAFPRO de fonds en comble.
72. Faites profiter la personne de cette exploration : « super votre dossier est à jour » ou, plus vraisemblablement « il manque le formulaire A-38 pour lequel il faut d’abord obtenir le A-39 selon la circulaire B-65. Vous envoyez tout ça et attendez le courrier vous informant qu’il manque un des justificatifs que vous avez déjà joint. Vous le renvoyez et voilà ! La CAF : c’est tout bête ! ».
73. Taper un rapport social.
74. Un rapport social détaillé.
75. Un rapport social très détaillé.
76. Enlever du rapport social les détails superflus.
77. Conclure le rapport social par un plaidoyer pour la personne digne de Jacques Vergès.
78. Proposer à la personne de le lire avec vous.
79. Expliquer à la personne que vous avez peut être omis certaines choses (l’année de la mort du chien) et exagéré certaines autres (sa motivation à intégrer une structure collective), mais que c’est normal et dans son intérêt. Dans les rapports, la frontière entre secret et mensonge professionnel est ténue.
80. Aller sur la fiche SIAO.
81. Remplir les cases.
82. Cocher d’autres cases.
83. Remplir encore des cases.
84. Tout est dit ! (sauf peut-être pour la case 74 pour laquelle vous avez des doutes parce que "ça depends ça dépasse").
85. Joindre votre magnifique rapport à la série de cases appelée « formulaire ».
86. Relire votre rapport qu’il est vraiment bien.
87. Soupirer en pensant que personne ne le lira et que tout ce qu’on regardera c’est les cases.
88. Expliquer à la personne le principe du SIAO. Une bonne idée, qui a jamais marché.
89. Valider l’envoi du SIAO avec la personne.
90. Cliquer sur la case « envoyer ».
91. Expliquer à la personne que le SIAO ne marchera sans doute pas.
92. Nuancer le propos en expliquant que le SIAO c’est comme le loto : « 100% des gagnants ont tenté leur chance », et que « qui ne tente rien n’a rien ». (l'assistante sociale qui ne croit plus en ces devises est à deux appels au 115 du burn out)
93. Rassurer la personne au supplice, qui est là depuis 4 heures et ne sait toujours pas où elle ira ce soir.
94. Proposer un mouchoir si elle pleure et que vous avez la chance d’avoir des mouchoirs.
95. Proposer un verre d’eau si vous avez la chance d’avoir des verres et de l’eau.
96. Tenter l’humour (la tarte tatin marche souvent).
97. « Quel est le dessert le plus mystérieux ? »
98. « C’est la tarte Taaaatiiiiiiiiiiiinnnn » (air du suspens).
99. « C’est une blague ? » Paniquer en réalisant que la musique d’attente a cédé sa place à un écoutant qui ne trouve pas la blague « tarte tatin » drôle (mais souvent ça marche).
100. Sauter sur le téléphone plus promptement qu’un candidat de Koh Lanta sur un morceau de viande.
101. Se battre avec le fil, attraper le combiné et se présenter très sérieusement.
102. Dicter la date de naissance et épeler les noms et prénoms de la personne à l’écoutant. Si nécéssaire, garder son sérieux pour épeler les prénoms tels que "Fiyon" ou "Diaharay". Ne pas laisser ses choix de mots-exemples trahir son agacement (ex: "E comme Envie, D comme De, M comme Meurtre ...").
103. Faire un topo de la situation qui ne témoigne pas d’un 100ème de tout ce que vous avez appris de la personne durant les 3 dernières heures.
104. Garder son calme quand l’écoutant vous annonce qu’il va vous remettre en attente et vous demande de ne pas quitter.
105. Afficher de nouveau son plus beau sourire *assuré-rassurant* à destination de l’usager.
106. Reprendre son souffle quand l’écoutant revient au bout du fil, avant l’annonce du verdict final.
107. Scruter le visage de la personne en rupture d’hébergement à la recherche du moindre signe indiquant que « ça va aller quand même », quand l’écoutant annonce que non, y’a pas de place aujourd’hui.
108. Garder son calme face à la proposition faite par l’écoutant d’orienter la personne vers la salle d’attente des urgences d’un hôpital.
109. Raccrocher.
110. Expliquer à la personne que vous êtes à court de moyens.
111. L’inviter à refaire le 115 aux aurores le lendemain.
112. L'inviter à participer à votre information collective "où dormir / ne pas dormir la nuit dehors à Paris" et lui vanter les mérites de votre prochaine action collective / sortie "visite des meilleurs endroits où dormir dehors à Paris", où elle pourra échanger des "bons plans" avec d'autres déboutés du 115.
113. Regarder la personne quitter votre bureau sans savoir où elle, et peut être ses enfants vont aller cette nuit.
114. Faire une pause clope/décompression/supervision avec les collègues.
115. Essayer de passer à autre chose tout en râlant contre cette petite musique qui vous reste en tête…
Bonus : 10 étapes pour avoir l’air con.
1. Avoir un doute sur le message d’attente du 115 en rédigeant ce billet.
2. Composer le 115 pour entendre ledit message.
3. Entendre immédiatement (sans même une sonnerie ou un début de musique) « 115 de Paris, bonjour ».
4. Réfréner une attaque d’apoplexie.
5. Sortir du mutisme dans lequel t’a plongé ton étonnement pour enfin répondre à l’écoutant qui s’époumone « allo » « allo » dans le combiné depuis 1 minute.
6. S’excuser gentiment auprès de l’écoutant en lui expliquant que tu ne voulais pas lui parler mais juste écouter la musique d’attente.
7. Assumer le petit silence qui s’en suit (l’écoutant est aussi étonné de ta bêtise/amour du classique et des langues, que toi du fait qu’il ait décroché sans te faire attendre une seconde).
8. Souhaiter une bonne journée à l’écoutant.
9. Raccrocher le téléphone.
10. Penser à toutes ces fois où tu avais besoin qu’ils décrochent et où tu as attendu une heure…
Séverine