Mes allocs, offres payantes "d'accompagnement social" et aides (profondément) digitalisées.
Quand t’es assistante sociale tu développes des reflexes à la con.
Des trucs tout droit sortis de tes entretiens qui, sans prévenir, finissent par envahir ta vie quotidienne. T’es là, à la fête des voisins tranquille, tu discutes, tu fais connaissance et tout d’un coup BIM, reflexe, tu te mets à poser une question chelou en mode « recueil de données ». Alors qu’en vrai t’en as rien à foutre de savoir si les enfants de tes voisins sont suivis à la PMI ou non !
De la même manière, certaines d’entre nous ont le reflexe de prendre tous les papiers qu’on leur tend et se retrouvent avec le fond du sac-à-main rempli de prospectus à la con. Genre ce prospectus pour une « compagnie d’aide administrative » qu’on m’a un jour distribué dans mon cher 19ème arrondissement. Une compagnie proposant de t'aider dans tes démarches en cas de problèmes CAF, surendettement, loyer impayé, demande de logement... moyennant finances (à partir de 15€ par mois). Le prospectus à faire vomir toute assistante sociale ou défenseur du service public qui se respecte.
Parce que c’est bien ce qu’il nous manquait, dans cette époque où la destruction du service public est en marche : des sociétés qui font payer pour fournir un service gratuit à des personnes qui ont de faibles revenus, voire sont surendettées. Des sociétés de conseils gratuits payants qui s'adressent à des gens en galère d'argent : fallait y penser !
Mais quel coup de génie ! Pourquoi j’y ai pas pensé avant : me mettre en libéral et facturer 15€ des prestations gratuites en surfant sur l’indisponibilité de services publics en manque de moyens et la galère des « usagers ». Y’a pas à dire : l’éthique rend con (et te prive de vacances aux Bahamas). Parce que si j’avais eu cette idée lumineuse, moi, et que j’avais eu le toupet de la mettre en œuvre, là j’en serai pas à ma 11ème année d’attente d’une promotion dans la fonction publique mais aux Bahamas : oui, Madame !
Faut dire qu’il y a de la thune à se faire, y’a un putain de public, un marché de ouf ! Et certains n’hésitent pas à s’engouffrer dans cette voie (ben oui, l’éthique c’est personnel, c’est pas tout le monde qui hésite avant d’aller se tailler une part dans les aides sociales versées aux gens qui galèrent). C’est ainsi qu’est né :
« Mes allocs.fr : l'assistante sociale digitalisée ».
Un site qui semble tout droit sorti de l’éthique cultivée en écoles de commerces. Du coup je ne pense pas (et surtout je refuse de croire) qu’il y ait la moindre assistante sociale diplômée qui ait accepté de prendre part au site « Mes allocs ». Or, s’il n’y a effectivement pas d’assistante sociale, le site commet un délit en plus de se faire une publicité mensongère puisque le titre d’assistante sociale est protégé (pour défendre l’éthique, le secret professionnel, tout ça tout ça).
Le principe du site ? Simuler gratuitement vos droits aux « allocs » (ce que tout un chacun peut faire sur le site du service public : mesaides.gouv) PUIS vous proposer de remplir toutes les démarches pour vous au tarif imbattable d’une commission de 9% des allocations perçues.
OUI, vous avez bien lu : mesallocs prend une commission de 9% sur les allocations (l’argent public, nos impôts) pour fournir un service disponible gratuitement partout. C’est de là qu’est né le slogan « la première assistante sociale digitalisée » : quand tu prends une commission pour fournir un service gratuit dans toutes les mairies, on voit bien dans quelle partie du corps des gens tu mets (profond) les doigts ! Une aide profondément digitalisée donc.
Et à grand renfort de sponsoring Facebook et Google, nul doute qu’il y a un avenir pour ce site qui attirera les gens qui ne savent pas à qui s’adresser, n’ont pas envie d’affronter le regard d’un humain lorsqu’ils vont demander de l’aide ni de faire la queue dans des services publics manquant cruellement de personnel.
Un coup de génie ! Puisque, mécaniquement, plus les gens sont dans la merde, plus ils ont de droits, plus ils paient de commissions importantes à « mes allocs.fr ». D’ailleurs, le premier droit qui apparait sur le site est le RSA ou revenu minimum. Faire des commissions sur le revenu minimum, il fallait y penser : mes allocs l’a fait ! Yep. Y’a un mec, il a vu la vidéo de Macron sponsorisée par Volvic sur le « pognon de dingue » et il s’est dit qu’il pouvait se faire des commissions de dingue.
Normal.
L’histoire ne dit pas si le site Mes allocs prélève 9% de commission sur les denrées alimentaires distribuées par les restos du cœur. Nul doute que l’idée du site « mes colis.fr » est à l’heure actuelle en gestation dans le cerveau d’un commercial aux dents longues et à l’éthique courte. Mais loin de moi l’idée de juger ces gens-là ! En bonne assistante sociale, j’essaie de leur trouver des excuses. Peut-être que les mecs souffrent de graves traumatismes ou (plus vraisemblablement) essaient de compenser en remplissant leurs portes monnaies à défaut d’arriver à remplir leurs caleçons...
Le plus choquant sans doute, c’est que ce soit légal de prendre une commission sur les allocations destinées aux plus démunis. Qu’aucun de ces politiques qui s’offusquent du « pognon de dingue » que ça coûte ne s’élève contre le « pognon de dingue » qu’on n’hésite plus à se faire sur le dos des bénéficiaires. Sans doute y-a-t-il des économies à faire en faisant reculer le service public et en favorisant le développement d’alternatives payantes. Et, peut-être que dans quelques années tout le monde aura pris l’habitude de payer pour accéder à certains services aujourd’hui gratuits. A ce moment-là, nous, pauvres assistantes sociales, nous retrouverons démunies avec notre réflexe à la con d’accompagner les gens professionnellement et gratuitement.
Alors, avant que les conseils professionnels gratuits disparaissent, un dernier conseil pour la route :
Si tu ne connais pas tes droits mais que tu maitrises Internet : Utilise le site mes-aides.gouv.fr (gratuit et on ne peut mieux renseigné). Et si tu te découvres des droits, mais que t’as un doute pour les faire valoir, adresse-toi à ta mairie, qui regorge d’adresses de lieux où tu pourras recevoir une aide gratuite. Enfin, si tu trouves que l’offre d’accompagnement public est insuffisante (trop de monde, pas de personne disponible pour prendre le temps de te rassurer et bien prendre en compte/traiter ta demande) : n’hésite pas à écrire à ton élu pour demander plus de moyens pour les services publics de proximité voire à descendre dans la rue aux côtés des agents des hôpitaux, écoles et autres services sociaux pour réclamer avec eux les moyens d’une offre de service public accessible à tous et gratuite !