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Publié par DASES-SUPAP-FSU

Nous constatons sur le terrain que les demandes de Prises en Charge Hôtelières (PCH) sont de moins en moins instruites en faveur des familles que nous accompagnons alors qu’il y a toujours autant de familles à la rue. Par ce texte, nous voulons proposer aux travailleurs sociaux des éléments d’appui et pistes de réflexion à l’évaluation. En effet, depuis 2011 et l’entrée en vigueur à Paris du nouveau Règlement Départemental d’Aide Sociale (RDAS), il semble que les travailleurs sociaux s’autocensurent dans l’instruction des demandes et peuvent être découragés par leur encadrement signalant que la demande n’aboutira pas. Or, les demandes de PCH devraient instruites :

  • Parce qu’une mise à l’abri est tout d’abord la demande de l’usager et qu’en tant que telle nous avons l’obligation de la soumettre,
  • Parce que dans le respect de notre mission première de protection de l'enfance, un enfant à la rue EST un enfant en danger,
  • Parce que nous avons une compétence de veille sociale en tant que travailleurs sociaux. Et que transmettre les demandes permet de comptabiliser le nombre de situations de familles en situation de rupture d’hébergement et par là même la prise en compte de cette problématique et des besoins dans les politiques sociales parisiennes,
  • Parce que contraindre l’administration parisienne à notifier officiellement les refus de prise en charge hôtel, permet aux familles d’introduire des recours comme la loi le permet. Cela a déjà permis de faire condamner plusieurs départements et pourrait permettre de faire évoluer la règlementation parisienne.

Nous nous proposons donc ici, de vous fournir des éléments juridiques permettant de vous y retrouver dans la nébuleuse des compétences et obligations des collectivités pour vous permettre de mieux accompagner les familles dans leur accès au droit (et au toit!). Et comme ça va être long et indigeste (mais néanmoins utile), on commence par vous résumer :

 

Missions de l’Etat

Effectivement la première mission d’hébergement des personnes à la rue incombe à l’Etat via le 115. L’article L345-2 du CASF précise : « Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d'accueil et d'orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l'Etat dans le département prévue à l'article L345-2-4. Ce dispositif fonctionne sans interruption et peut être saisi par toute personne, organisme ou collectivité. ».

Ce principe peut être complété par une obligation d’accueil inconditionnel de ces personnes, ainsi l’article L345-2-2 du CASF prévoit que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ».

Cependant, nous constatons dans notre pratique, que les personnes n’obtiennent que rarement des propositions d’hébergement (61% de sans solutions après appel abouti au 115 de Paris fin 2016 selon le baromètre 115 publié par la FNARS).

Le conseil d’Etat a jugé par une ordonnance du 10 février 2012 que ce droit à l’hébergement constitue une liberté fondamentale. De plus, une ordonnance du 11 janvier 2013 du tribunal administratif a jugé que constituait une liberté fondamentale le droit pour une personne d’être maintenue dans une structure d’hébergement jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée en hébergement stable.

Nous constatons que si l’Etat peut répondre à ces obligations (en proposant des solutions d’hébergement via le 115), les conditions d’accueil de ces familles ne permettent parfois pas d’assurer la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation des enfants. En effet, il n’est pas rare de constater que les lieux d’hébergement trouvés soient non décents, trop instables et/ou éloignés des lieux de scolarité, de soin, d’accueil, compromettant ainsi l’accès aux droits fondamentaux des personnes. Le constat est donc celui d’un manquement de l’Etat à ses obligations en matière d’hébergement.

Par ailleurs, la responsabilité du Département, en charge de l’action sociale auprès des familles et de la protection de l’enfance, doit également être questionnée.

 

Missions du Département

L’argument selon lequel l’hébergement est uniquement une compétence de l’Etat est faux et illégal : la question de l’hébergement relève également du Département dès lors que des enfants sont concernés. En effet, le CASF (L221-1) prévoit que :

« Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du Département chargé des missions suivantes :

1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ; (…)

3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; »

L’article R221-1 du CASF prévoit que « Dans chaque département, le président du Conseil Général est chargé d’exercer une action sociale préventive auprès des familles dont les conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de leurs enfants ».

Le Conseil Général a la possibilité au titre de l’article L222-5 du CASF de faire prendre en charge par le service de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sur décision du président du conseil général « Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les établissements ou services qui accueillent ces femmes organisent des dispositifs visant à préserver ou à restaurer des relations avec le père de l'enfant, lorsque celles-ci sont conformes à l'intérêt de celui-ci. ». Cet article doit être lu et interprété avec précaution : en effet, de nombreux départements restreignent aujourd’hui leurs interventions en matière d’hébergement aux familles avec enfant de moins de 3 ans et femmes enceintes. Mais l’article L222-5 ne fait que fixer une obligation supplémentaire pour les départements en leur confiant notamment la responsabilité des Centres Maternels : en aucun cas cet article ne limite les responsabilités du Conseil général en direction des autres familles. Un arrêt du 11 mars 2008 de la Cour Administrative d’appel de Bordeaux (11 mars 2008, 05BX01111) statue d’ailleurs en ce sens : les départements qui prétendent limiter leur intervention aux femmes enceintes et familles avec enfant de moins de 3 ans, en faisant une interprétation « économique » des textes sont dans l’illégalité. La mise à l’abri des familles peut en effet s’effectuer à destination de toute famille dans le cadre de la mission confiée au département d’apporter un soutien matériel éducatif et psychologique précité dans l’article 221-1.

 

Obligations des Travailleurs Sociaux

Suivant l’article R221-3 les assistants de service social doivent présenter toute demande visant à assurer les missions de prévention dévolues au Conseil Général.

Par ailleurs, le RDAS prévoit que toute demande formulée par les personnes doit être instruite.

Enfin, le code de déontologie de l’ANAS, prévoit dans son article 14 une forme d’obligation de moyens : « l’Assistant de Service Social doit aux personnes qui s’adressent  à lui une aide d’une durée aussi longue que l’exige la situation en dépit des difficultés rencontrées et quelques soient les résultats obtenus ».

Néanmoins, toutes les demandes susceptibles de relever d’une prise en charge hôtelière ne sont pas instruites par les travailleurs sociaux (souvent en lien avec la certitude que la demande fera l’objet d’un refus) ou sont bloquées par leur encadrement. Par ailleurs, les demandes qui sont déposées finissent fréquemment par faire l’objet de refus aux motifs souvent illégaux.

 

Refus

Conformément au L222-2 du CASF, le seul motif légal de refus serait que l’aide n’est pas justifiée pour la santé, la sécurité, l’entretien ou l’éducation de l’enfant et/ou que le demandeur dispose de ressources suffisantes. Cette aide doit intervenir sans tenir compte de la nationalité ou de la situation au regard du droit de séjour. Par ailleurs, la condition de résidence est une condition supplémentaire qui présente un caractère illégal, le CASF prévoyant que les « prestations d'aide sociale à l'enfance (…) sont accordées par décision du président du conseil général du département où la demande est présentée » (article L222-1).

En cas de refus, celui-ci doit être obligatoirement notifié et motivé avec indication des délais et voies de recours (Loi du 11 juillet 1979, article 1 et 3). Rappelons que la motivation par un critère prévu par le RDAS mais qui serait non conforme aux conditions prévues par la loi resterait illégal. A une époque où la logique apparait de plus en plus souvent fondée sur une logique gestionnaire, le droit et la jurisprudence remettent donc au centre la question de l’évaluation par les professionnels.

 

Recours

Les travailleurs sociaux peuvent en cas de refus accompagner les familles dans une procédure de recours si elles le souhaitent qu’elle soit amiable devant l’administration, ou contentieuse devant les juridictions administratives. Les travailleurs sociaux peuvent donc aider pour la rédaction d’un recours gracieux ou orienter vers un juriste pour les démarches auprès d’un tribunal. Tout comme la protection de l’enfance, l’accès au droit est une des missions principales des travailleurs sociaux, dont le rôle est de soutenir les familles dans leur accès aux droits et qui ne doivent pas participer à des réponses contraires à l’obtention d’une aide et au droit.

Or, aujourd’hui, le recours gracieux n’est pas possible à Paris : une famille souhaitant contester un refus de PCH verra sa demande traitée comme une nouvelle demande de PCH. Il conviendra donc, dans un délai de deux mois suivant la notification de rejet de la demande, d’introduire un recours contentieux devant le Tribunal Administratif, sans attendre de réponse à un recours gracieux.

 

Fins de prise en charge.

Rappelons d’abord que les aides attribuées dans le cadre de la protection de l’enfance ne sont pas limitées dans le temps : il s’agit de prestations qui restent obligatoires tant que le besoin existe.

En cas de décision de fin de prise en charge celle-ci doit, comme toute décision administrative, être motivée et notifiée par écrit afin de revêtir un caractère légal permettant notamment aux familles de faire un recours. Or, à ce jour, cette obligation légale n’est pas toujours respectée sur le territoire parisien : des personnes ont pu être informées de fins de prise en charge par téléphone sans que leur soient adressés par l’administration une notification de décision avec voies de recours. Le tribunal administratif ou le défenseur des droits peuvent être saisis sur cette question.

 

Saisir le Tribunal Administratif.

Le référé liberté peut être utilisé par un justiciable si une décision prise à son encontre par une administration ou un organisme chargé d'un service public porte une atteinte grave et «manifestement» illégale à l'une de ses libertés fondamentales.

Un recours peut être introduit auprès du Tribunal Administratif par un référé liberté, procédure rapide puis devant le conseil d’État.

 

Vous êtes au clair !

Nous espérons que ce document permettra aux travailleurs sociaux d'accéder rapidement à un rappel du cadre légal qui soit aidant dans leurs pratiques.

Puisque la protection de l'enfance et l'accès au droit sont nos principales missions, et dans un contexte où - pour des motifs souvent économiques - les différentes collectivités peinent à prendre leurs responsabilités, il est important de s'appuyer sur le Droit pour faire valoir celui des familles et s'assurer que leurs besoins soient bien en pris en compte.

 

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