En bref : "Reconnaitre et valoriser le travail social" (Résumé du rapport de Brigitte Bourguignon)
Mercredi 2 septembre, Brigitte Bourguignon, a remis au Premier Ministre son rapport "Reconnaitre et valoriser le travail social", commandé - dans le cadre des Etats Généraux du Travail Social (EGTS) - à la suite des protestations des professionnels et organisations syndicales et professionnelles du secteur social.
Ce rapport était attendu. Que nous dit-il ?
Une crise de sens bien repérée.
- Perte de sens et souffrance au travail.
Dans ses premières pages le rapport évoque la crise de sens traversée depuis plusieurs années par le travail social, symbolisée ces derniers mois par le rassemblement des professionnels autour du slogan « On ne gère pas l’autre, on l’accompagne ».
On trouve une analyse brève mais assez fine des problématiques auxquelles le travail social est confronté, parmi lesquelles :
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Une intervention sociale de plus en plus procéduralisée,
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Des outils informatiques et règles comptables qui participent d’une bureaucratisation du travail social et d’une perte de sens,
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Une logique de gestion par dispositifs, spécialisations, qui se traduit par une « gestion de stocks d’individus » aux antipodes des valeurs du travail social.
Les effets de ces tensions au sein du travail social sur les professionnels sont également évoquées/repérées. Le malaise des professionnels face à la bureaucratisation, aux injonctions paradoxales et à l’absence de moyens (évoquée comme une source de souffrance au travail) semble bien repéré. Enfin, la perte de sens est analysée comme provenant de l’écart entre ce qu’il est demandé aux professionnels de faire et les valeurs qui sont à l’origine de leur entrée dans le métier.
- Un travail social à définir.
Le rapport note qu’il n’existe, à l’heure actuelle, pas de définition légale du travail social. Pour Brigitte Bourguignon, il est nécessaire de définir le travail social et d’intégrer une définition au Code de l’action sociale et des familles afin de délimiter son champ. Il est proposé de retenir, en l’aménageant, la définition de l’International Association of Schools of Social Work (IASSW) qui définit le travail social comme :
une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir et la libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droit de la personne, de responsabilité sociale collective et de respect des diversités, sont au cœur du travail social. Etayé par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes et les structures à relever les défis de la vie et agit pour améliorer le bien-être de tous.
Parallèlement, si les travaux du Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS) sont reconnus, le rapport regrette leur manque de diffusion et propose de moderniser cette instance. Il est notamment proposé d’y faire participer des représentants des usagers, d’améliorer l’ancrage territorial du CSTS, et d’adapter ses productions afin que celles-ci soient plus adaptées et accessibles aux professionnels.
Enfin, la nécessité de recentrer le travail social sur l’accompagnement de la personne en simplifiant les procédures et dispositifs et en libérant le travail social des tâches administratives est évoquée. Le rapport fait ainsi écho aux attentes de nombreux professionnels en préconisant de redonner aux travailleurs sociaux le temps de l’accompagnement.
- Un rapport qui garde une « position de surplomb ».
Le rapport, qui se veut valorisant et porteur d’une défense du travail social, demeure un point de vue extérieur et ne se départit pas d’une certaine position de surplomb (celle-là même qu’il regrette que les travailleurs sociaux adoptent vis-à-vis des usagers). On pourra tiquer à la lecture de certaines préconisations qui peuvent paraitre superflues (invitation à « faire avec » et non plus « sur » l’usager, rappels de la nécessité d’accompagner vers l’autonomie…). De même, certains termes, utilisés notamment pour décrire le ressenti et les réactions des professionnels face, entre autres, aux projets de la Commission Professionnelle Consultative (CPC) semblent maladroits. Le rapport évoque ainsi des positions radicales et la radicalisation de positions contestataires pour désigner le mouvement (légitime) de défense des métiers du travail social. S’agissant de la CPC et de sa proposition de réarchitecture des diplômes, le rapport conclut que « les professionnels ne sont pas prêts culturellement » à y adhérer… Bref, on peut avoir le sentiment que Mme Bourguignon, tout en les entendant et en les analysant plutôt justement, n’a pas entendu les inquiétudes des professionnels autrement que comme des crispations identitaires… Dommage !
Ce ressenti est d’autant plus prégnant que si le rapport s’attache à définir le travail social, il ne propose aucune présentation de ses différentes professions (ce qui aurait pu mettre en exergue leur complémentarité et donner du sens à l’attachement aux identités professionnelles). Il évoque par ailleurs le fait que les professionnels seraient en difficulté pour définir ce qui constitue leur identité professionnelle.
Enfin, une grosse lacune de ce rapport réside dans l’absence de référence, de réflexion sur la question du secret professionnel. Il n’est fait mention du secret professionnel que pour souligner l’absence de capacité pour les professionnels à définir leur identité « souvent réduite à la détention du secret professionnel pour les assistants de service social ». Les assistants de service social, qui, à travers l’ANAS notamment, ont fait part de leurs inquiétudes quant au devenir du secret professionnel dans le cadre d’une éventuelle ré-architecture des diplômes, pouvaient attendre plus de ce rapport, qui semble occulter la question.
Les enjeux de la formation.
Une grande partie du rapport est, sans surprise, consacré aux enjeux de formation. Sa commande est en effet directement liée à la protestation des professionnels, organisations syndicales et professionnelles au sujet de la proposition de ré architecture des diplômes du travail social par la Commission Professionnelle Consultative (CPC). Au sujet des travaux de la CPC (à l’origine des contestations et craintes de voir disparaitre notamment les différents diplômes et leur complémentarité), le rapport précise qu’il ne s’agit pas d’un projet du gouvernement, ni d’une réforme en cours.
- La nécessité du socle commun réaffirmée.
Les travaux de la CPC ne sont pour autant pas décriés par le rapport, qui évoque un manque de pédagogie autour de la démarche, ayant engendré en réponse des positions contestataires radicales émanant des professionnels (!).
La nécessité d’un socle commun pour 5 professions du travail social (ES, ASS, CESF, EJE, ETS) est réaffirmée. Pour Mme Bourguignon, ce socle commun répond à un besoin pour le travail social (qui manque de lisibilité et est mal défini) ainsi qu’aux attentes des employeurs (pour qui il permettrait notamment de développer la mobilité des personnels).
Par ailleurs, le rapport évoque le fait que l’idée d’un socle commun n'est pas en soit rejetté (si celui-ci est limité), le rapport préconise donc un socle commun qui recouvrirait 30% de la durée d’enseignement des diplômes. Les difficultés soulevées par la mise en place de ce socle commun, notamment pour les centres de formation qui ne sont pas, pour la plupart, « calibrés » pour, sont soulevées mais aucune solution n’est proposée.
Outre le socle commun, le rapport reprend la proposition de la CPC de mettre en place en fin de formation des modules optionnels de spécialisation autour de techniques (accompagnement collectif, intervention sous mandat judiciaire…) ou problématiques (logement, insertion….). Il préconise également que ces modules restent accessibles en formation continue. Le rapport ne développe pas l’intérêt de ces modules de spécialisation qui ont pourtant beaucoup questionné et ont été critiqués pour leur potentiel réducteur. Ces modules sont simplement évoqués comme pouvant faciliter l’accès à un premier poste. On pourra donc regretter que le rapport ne s’attarde pas à expliciter le sens et l’intérêt des modules de spécialisation, d’autant plus que le rapport souligne dans sa première partie les effets secondaires néfastes d’une sur-spécialisation dans le travail social.
Enfin, le rapport s’attache à questionner l’ancrage dans cette éventuelle réforme de trois diplômes/professions : les EJE (pour lesquels on préconise notamment un meilleur investissement de l’Éducation Nationale, école maternelle), les CESF (dont la formation BTS + 1 an de spécialisation en travail social est à l’inverse de l’idée du socle commun proposé) et les Médiateurs Familiaux (au sujet desquels le rapport conclut qu’ils ne peuvent pas être rattachés au schéma des professions sociales).
- La reconnaissance à Bac + 3.
Le rapport ne pouvait faire l’économie de répondre aux revendications des professionnels quant à la reconnaissance de leur diplôme en catégorie A / niveau II.
La réarchitecture des diplômes est donc évoquée par le rapport comme un enjeu en ce sens, qui permettra cette revalorisation. Il nous a semblé maladroit de présenter la réarchitecture des diplômes comme une condition au nécessaire et attendu reclassement des diplômes en catégorie II. En effet, il n’est pas question semble-t-il, de refuser le reclassement en catégorie A des professionnels qui seront/sont diplômés en amont d’une éventuelle réforme des diplômes. Par ailleurs, le rapport fait bien mention de la mise en conformité nécessaire des diplômes de travail social avec l’espace européen (processus de Bologne), et aux négociations en cours avec la Ministre de la Fonction Publique (qui négocie actuellement avec les organisations syndicales un passage en catégorie A progressif à compter de 2018). Dans ce contexte, il semble qu’on ne puisse pas définir la réarchitecture des diplômes du travail social comme un véritable enjeu / une condition nécessaire à la reconnaissance à Bac + 3, comme semble vouloir le dire le rapport de Mme Bourguignon.
- Les autres problématiques actuelles de la formation.
Le rapport ne fait pas l’impasse sur les problématiques actuelles qui touchent notamment les écoles et étudiants de travail social.
En premier lieu, le problème de l’accès aux stages des étudiants est évoqué. Le rapport préconise la mise en place d’objectifs contractuels d’accueil des stagiaires pour les établissements sociaux et médico-sociaux financés par l’État. Des objectifs quantifiés d’accueil de stagiaires pourraient ainsi être définis dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus entre l'Etat et les établissements financés. Par ailleurs, le rapport regrette que l’État ne se montre pas exemplaire dans l’accueil de stagiaires et demande que ses services se mobilise davantage en ce sens.
En second lieu, le principe de transmission entre pairs qui veut que les formateurs au sein des écoles de travail social soient d’anciens professionnels est questionné, défini comme « une zone de risque pour la qualité des contenus » de formation. Le rapport préconise que des travaux soient conduits à ce sujet avec les organismes de formation.
Enfin, le rapport évoque la nécessité de travailler sur les épreuves d’admission des écoles afin de garantir un accès équitable à tous les élèves (qui varient actuellement en fonction des écoles qui définissent et organisent elles-mêmes leurs épreuves d’admission).
Dans l’ensemble donc, ce rapport est plutôt une bonne chose, la première partie notamment ne pourra que « parler » aux travailleurs sociaux en décrivant plutôt bien la crise qu’ils traversent. De même, on pourra plutôt se réjouir de voir la reconnaissance à Bac + 3 évoquée et projetée, même si aucun engagement fort ou annonce révolutionnaire n’est contenue dans ce rapport.
Le gros de ce rapport repositionne, reformule et défend les préconisations de la CPC relatives à la réarchitecture des diplômes en travail social. Mme Bourguignon fait ici preuve de toute la pédagogie qui a, selon elle, fait défaut à la CPC. Le rapport est plutôt efficace à présenter positivement une éventuelle réforme qui permettrait aux métiers canoniques de partager des enseignements communs sans pour autant « fusionner » et/ou amener à une perte des identités professionnelles. Au passage, ceux qui ont contesté le projet d’origine de la CPC (dont les propositions étaient différentes et remettaient autrement en question les professions du travail social) sont gentiment accusés de s’être radicalisés autour d’incompréhensions…
De nombreuses questions restent en suspens, et le malaise ne saurait être résolu par la remise de ce rapport, qui ne fait pas de promesses mais de simples propositions. Il convient donc de rester vigilant, dans les prochains mois, aux suites données à la réflexion sur le travail social dans le cadre des EGTS.